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BIG EYES : Le reflet d'une carrière dans les yeux d'un biopic chez Tim BURTON

Publié le par Shelby le Magnifik (Joe)

BIG EYES : Le reflet d'une carrière dans les yeux d'un biopic chez Tim BURTON

 

Synopsis : BIG EYES raconte la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art. À la fin des années 50 et au début des années 60, le peintre Walter Keane a connu un succès phénoménal et révolutionné le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux représentant des enfants malheureux aux yeux immenses. La surprenante et choquante vérité a cependant fini par éclater : ces toiles n’avaient pas été peintes par Walter mais par sa femme, Margaret. L’extraordinaire mensonge des Keane a réussi à duper le monde entier. Le film se concentre sur l’éveil artistique de Margaret, le succès phénoménal de ses tableaux et sa relation tumultueuse avec son mari, qui a connu la gloire en s’attribuant tout le mérite de son travail.

 

Big Eyes ne ressemble pas à un film de Tim Burton. On n'y trouve ni Martiens, ni vampires, ni effets spéciaux, ni Johnny Depp déguisé. C'est plutôt bon signe. Le Burton des dernières années, du remake pataud de La Planète des singes à la commande Disney d'Alice au pays des merveilles, en passant par le hideux Dark Shadows,qui pique les yeux. L'inventif et excentrique cinéaste de Beetlejuice et d'Edward aux mains d'argent s'est fait broyer par les gros studios hollywoodiens.
Avec Big Eyes, il revient à une production indépendante, un budget raisonnable et un film très personnel. Il a tourné très vite ce scénario écrit par Scott Alexander et Larry Karaszewski, déjà auteurs d'Ed Wood (1995), sacré «le plus mauvais réalisateur de tous les temps».

 


D'une certaine façon, Walter Keane est le plus mauvais peintre de tous les temps. S'il était resté un peintre du dimanche, personne n'en aurait rien su et Burton n'aurait pas raconté son histoire. Mais Keane est devenu une star, un genre de Warhol avant l'heure - dès les années 1950. Publicité, marketing, merchandising, Keane a tout compris avant tout le monde. Jeff Koons n'a rien inventé. Le script décortique les rouages du marché de l'art à l'ère de la télévision avec un sens de la satire réjouissant. Journaliste complaisant, industriel collectionneur (l'Italien Olivetti), chacun joue son rôle.

 

 

 

Tout le monde se souvient des Poublots, ces illustrations kitchissimes (à en devenir dingo) de gamins parisiens, SIGNÉES Michel Thomas, qui décoraient les boîtes de chocolats, fleurissaient sur les murs des chambres d’enfants dans les années 70 et 80, et ont transformés toute une génération d’enfants innocents en psychopathes fans de films d’horreurs histoire d’oublier cette orgie de mièvrerie dégoulinante. Et ben, aux USA ils avaient exactement le même genre de peintures naïves dégueulasses! Mais comme on est aux USA, cette histoire-là (100% authentique) relève de l’imposture délirante et du capitalisme le plus spectaculaire. 

 

 

 

Margaret (une Amy Adams en perdition, le regard perpétuellement hébété, manipulée en permanence, recherchant une certaine reconnaissance), est une jeune femme divorcée perdue dans l’Amérique conservatrice du début des 60’s. Réfugiée à San Francisco, cette peintre occasionnelle RENCONTRE Walter (un Christoph Waltz un peu cabotinant, mais réellement efficace car son personnage se doit d'être dans l'excès, comme tous les affabulateurs, histoire de "vendre" leur version meilleure, et Waltz s'y emploie parfaitement). Et c’est l’amour.

 

 

Et les embrouilles. Lui-même peintre/crevard, Walter va usurper le nom de sa belle et s’accaparer ses œuvres, portraits d’une naïveté intergalactique, d’enfants aux yeux gigantesques. Et c’est le triomphe. Aussi inattendu qu’absolu. Si Walter jouit de son statut de superstar, Margaret s’enfonce dans la solitude et la dépression.

 

 

Les films de Tim Burton ont souvent réservé des rôles forts aux femmes, de Catwoman aux apparitions ravageuses de Lisa Marie en passant par Angelique Bouchard dans Dark Shadows. Mais, hormis Alice, les histoires de Burton étaient exclusivement centrées sur des garçons. Il y a pourtant une logique évidente, dans le cinéma de Burton dédié au contre-pouvoir et aux outsiders, à rencontrer une héroïne telle que celle de Big Eyes : une femme certes mais surtout une héroïne féministe. Le délice là dedans c’est de voir comment Tim Burton avec Big Eyes utilise à merveille Amy Adams et Christoph Waltz. C’est la première fois qu’il dirige ces deux acteurs, et je dois avouer que cela apporte une vraie fraicheur à la filmographie de Tim Burton. Ce dernier avait pour habitude de nous offrir les mêmes acteurs à toutes les sauces alors au bout d’un moment, même si j’aime bien Johnny Depp, ce n’est plus possible d’en faire sa muse et de l’utiliser à tire larigot. 

 

 

 

Le contexte social de Big Eyes est plus présent que dans les précédents films du cinéaste où règne le merveilleux. Margaret Keane (incarnée par Amy Adams) quitte son premier mari à une époque où ça n’était pas convenable, et passera le film à se heurter à une société patriarcale où les femmes sont tenues en laisse autant par leur époux masculiniste que par l’église elle-même. L’effacement des femmes-artistes dans l’histoire de l’art n’est pas une fantaisie, et lorsque Walter Keane (Christoph Waltz) affirme dans les 60s que les artistes femmes ne peuvent pas être prises au sérieux, on pense aisément à la façon dont sont considérées les femmes réalisatrices aujourd’hui. Le sujet de Big Eyes est parfois suffisamment fort pour porter le film lui-même : le héros de Ed Wood (qui partage les mêmes scénaristes que Big Eyes) était nul mais s’imaginait être un génie ; Margaret Keane n’a même pas l’autorisation de penser qu’elle a du talent.

 

Walter Keane, est un personnage d'autant plus intéressant que c'est un escroc. Il n'a jamais peint ces orphelins aux yeux immenses. Ces croûtes sont l'œuvre de son épouse, Margaret (Amy Adams), femme soumise et impressionnée par son baratineur de mari. Celui-ci ayant un égo démesuré, la menace de la tuer, si elle révèle à quique ce soit leur supercherie, c'est dire si Walter est un mégalomane dangereux. 

 

 

Margaret finira par s'émanciper et l'imposture éclatera au grand jour. Cela vaut au galeriste snob joué par Jason Schwartzman l'une des meilleures répliques: «Qui voudrait revendiquer ça?» Burton, lui, ne juge pas la peinture de Margaret mais, à travers elle, il réaffirme une vision naïve et touchante de l'art comme un acte romantique et marginal.


«Tu es passée du sentimentalisme au kitsch», dit Walter à sa femme enfermée au grenier pour peindre des kilomètres de toile. On peut y voir une interrogation de Burton sur son art. Dans un entretien à la revue Positif, le directeur de la photographie français Bruno Delbonnel donne l'une des clés du film: «Le kitsch est une notion compliquée". Et c'est le propos du film. Je pense que Tim a fait Big Eyes en réaction à son expérience au MoMA. Il y a monté l'exposition qui est ensuite venue à la Cinémathèque française, et qui s'est avérée être le troisième plus gros succès du MoMA après Picasso et Matisse! Ce succès a provoqué un débat étonnant. Un critique du New York Times s'est demandé si Tim avait sa place au MoMA: selon lui, ce n'était pas de l'art. On retrouve ce discours dans la bouche du personnage joué par Terence Stamp. Tim lui-même est incapable de définir la limite entre l'art et le kitsch… Et cela ne l'intéresse pas. Il ne se prend ni pour Picasso ni pour Matisse. Il vit dans son monde.»

 

 

Cette histoire me rappelle un peu ce que Tim Burton avait fait avec Big Fish. Il y a la même candeur, la même fantaisie dans l’image sans pour autant nous donner l’impression que l’on est dans le Tim Burton le plus extravagant. C’est donc un film beaucoup plus réfléchi, qui prend le temps de peindre sa toile. Il y a des scènes, notamment lorsque l’on voit notre héroïne sur la route et que la verdure borde cette dernière, tout semble peint, comme les peintures de Margaret. Afin de transformer son idée de biopic en solide film, Tim Burton use d’un script qui maîtrise du début à la fin son histoire. Il y a bien évidemment quelques moments de battement où l’on se demande où est-ce que cela peut encore nous emmener. Notamment lors de la première demi-heure mais rapidement les engrenages se mettent en marche et le film devient alors assez délicieux dans son ensemble.

 

Peignant un délicieux portrait de femme tiraillée dans les affres de la vie et de l'art, Tim Burton, flegmatique et allégé, fait de Big Eyes un de ses films les plus personnels. Le cinéaste abandonne pourtant totalement sa pâte expressionniste et mélancolique, embrassant la réalité kitch et colorée de la banlieue de Edward Scissorhands, du réel émancipé de Big Fish, étreignant une grisante naïveté alors que l'humour caresse une effroyable emprise. Burton s'abandonne dans une certaine blancheur candide, pour alors affirmer à travers le récit véritable de Margaret Keane, un constat doux-amer de sa propre carrière. Derrière la comédie dramatique à la narration et à la plastique limpides émerge un sous-texte fascinant, celui d'un artiste en proie au système, et plus subjectivement d'un cinéaste dans la toile des grands studios. La folie douce de Burton s'invite subtilement lorsque la conscience du protagoniste reprend le dessus, dans les rayons artificiels d'un supermarché où son art s'affiche en pure produit de consommation, lorsque une petite fenêtre de liberté la reflète au sein d'un huis-clos étouffant.

 

 

 

Ce film est une œuvre-reflet, tel les yeux invoqués comme miroir de l'âme, Tim Burton y posant joyeusement ses problématiques personnelles à travers les yeux d'une artiste troublée dans un maelström de mensonges publiques, d'usurpation, de copies de copies. Cette quête d'identité artistique sucrée s'achève sur un procès climatique et atypique, où le réalisateur nous regarde alors droit dans les pupilles : Big Eyes, modeste chronique de déceptions et de décisions, est l'ultime témoignage d'un Tim Burton qui peint sa conscience, déclare son âme et signe son contrôle sur le cinéma de masse qui pense le contrôler, déclin chuchoté dont il se sait définitivement libéré. Cela peut aussi être perçu comme une volonté à travers ce biopic de revenir, avec sa patte de fabrique à du cinéma plus intimiste, loin de toutes les pressions que les Majors Disney lui imposaient, qui certes ont contribué à son succès, mais à force d'outrance et de non renouvellement avait fini par lasser son public.

 


 

 

Il y a des pistes à explorer dans Big Eyes, notamment sa noirceur. Il y a quelques années, Burton effectuait un virage avec Sweeney Todd où, pour la première fois, la noirceur n’était dissipée ni par le conte, ni par l’humour. C’est ce que l’on perçoit en pointillé dans Big Eyes, où la violence se libère parfois, où l’on joue avec le feu et où la belle lumière devient finalement menaçante. Il y a également dans le scénario de Scott Alexander et Larry Karaszewski d’intéressants niveaux de lecture extra-filmique sur la marchandisation de l’art (et on remercie Burton et les scénaristes de nous éviter les clichés traditionnels du cinéma populaire sur l’art contemporain et la critique) ou sur cette artiste dont on n’attend plus qu’une formule lucrative répétée à l’infini et qui décide de changer de style. 

 

 

 

Finalement, Big Eyes est donc une bonne surprise, Ce n'est pas à mon sens,  le meilleur film de Tim Burton mais certainement son meilleur depuis pas mal de temps maintenant. Le souci c’est que Tim Burton a tendance à nous surprendre quand on ne s’y attend pas du tout, et pour le coup, cela fonctionne terriblement bien. Même des personnages secondaires comme celui de Krysten Ritter servent le récit à merveille car ils parviennent à apporter un petit truc en plus. Christoph Waltz campe parfaitement cet être cynique, jouant sur la surinterprétation pour se faire apprécier dans le monde de l'art, et Amy Adams joue un de ses rôles les plus "vrais" à savoir qu'elle ne surjoue pas, et démontre la tenacité d'une femme prête à tout pour retrouverr son estime de soi, et que son travail lui soint enfin reconnu pour elle. Tim Burton n’oublie pas non plus le côté sombre de son histoire et il la met en scène de façon très subtile et discrète, loin de ce qu’il a pu faire par exemple dans Dark Shadows où il faisait sa Famille Adams en version extravagante sans grande saveur.

Ma note : un bon 8/10 mérité. 

 

 

 

 

Citation : 

Les yeux sont le miroir de l’âme 

Quand le temps montre sa détresse 
Quand mon coeur se serre de tristesse 
Lorsqu’il contemple cette époque 
Où la mort n’est rien et que l’on moque. 

Quand paraît l’affreuse multitude 
Mon coeur se serre de solitude 
Quand toutes les bouées se sont enfuies 
Que reste-t-il dans ce monde détruit ? 

Il me reste tes yeux et ton regard 
Ces véritables miroirs de l’âme. 
Pour ce voyageur que la nuit égare 
Ce sont deux guides sûrs dont la flamme 
Fait renaître l’espoir 
Ne serait-ce qu’un soir. 

Profonds comme deux puits 
Mystérieux comme la nuit 
Ils brûlent pour toujours 
Aux flammes de l’amour. 

Légers comme une pluie 
Sous la lune qui luit 
Ils savent consoler 
Les esprits égarés. 

Tristesse et solitude se meurent 
Au soleil de tes yeux qui m’effleurent. 
Leurs rayons, au travers de mes larmes 
Firent un arc-en-ciel de mes drames.

 

Poème d'Yves Le Guern. 

 

 

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C
Très bonne critique. Tu me motive à aller le voir. J'avais des appréhensions à cause d'un critique de l'Express. Mais là je suis un peu plus rassuré. Tout le monde pense que Burton ce n'est que du gothique alors que non. Je n'ai pas vu Big Fish mais j'ai vu Mars Attack. Ceci dit j'ai quelques appréhension au sujet de Dumbo. Wait and see !
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S
Merci Cosmicm, Oui Burton sait faire de très bon films en dehors du gothisme traditionnel qu'il maîtrise parfaitement, mais tout comme pour Ed Wood, le biopic est réalisé avec intelligence par Burton.
C
Encore une critique bien fournie Joe ! J'ai hâte d'aller le voir demain ou après demain ! Moi aussi j'ai été très déçu par ses dernières réalisations, surtout Dark Shadow, où comme toi, j'ai franchement pris aucun plaisir... Reste Sweeney Todd que j'ai vraiment aimé ! Alors j'espère retrouver un Burton en forme avec Big Eyes, surtout que je travail un peu dans l'art et que j'ai envie de voir ce que Burton en a fait. Tchao Joe. Alex ;)
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S
Merci Alex, oui si tu as vu Ed Wood et si tu l'as aimé, tu devrais apprécier BIG EYES, il est moins fantaisiste que ses autres films, et c'est plutôt une bonne chose, Un retour aux sources, dégageant malgré tout sa patte personnelle pour Burton, mais respectant le travail de Margaret Keane. Le film est porté par un certain lyrisme particulier, le fond comme la forme, y sont subtilement traité. J'espère que tu vas l'apprécier :) Merci d'être passé en tout cas. Je ne savais pas que tu bossais dans le domaine de l'art, faudra que tu m'en dises un peu plus, ça m'intéresse. Bon cinoch demain Alex :) See you soon. Joe
M
Bonsoir mon Joe, non seulement tu écris toujours aussi bien mais de plus, il y a une âme de poète qui sommeille en toi. Tout d'abord, j'adore le poème et au-delà de ton esprit analytique, il se dégage de la poésie et de la mélancolie dans cette excellente critique. De ton avis, j'ai la nette impression que Burton a "grandi" et ce film semble être celui de la maturité et de la réflexion et surtout son propre regard sur son métier de cinéaste, quelque peu désenchanté. Merci bcp, je suis impatiente mais vraiment; On en reparlera tous les deux ^^<br /> Gros bisous mon fidèle comparse. Ta Mina :)
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S
Merci beaucoup ma Mina oui en effet j'interprète ce film comme une introspection nécessaire à Burton. Une étape difficile mais nécessaire pour repartir sur de bonnes bases. Gros bisous ma fidèle comparse ^^
M
Ah et, très joli choix de poème pour ce film, c'est très jolie et bien approprié :)
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C
Tu es là aussi ?
M
Bon étant une grande fan des introspections (comme tu le sais) c'est déjà gagné : je vais aimer. Dès que je l'ai vu, je t'envoie un sms pour un premier avis. Douce nuit, gros bisous et à très vite mon fidèle comparse cinéphile :) Ta Mina :)
M
Salut Joe :) <br /> J'ais eu le temps de lire intégralement ta critique cette fois-ci, et ton analyse est vraiment très bien étudié : c'est excellent, et par ailleurs je dois dire que ce film fait vraiment du bien dans pas mal de sens de la part de Burton. Pas seulement parce que c'est meilleurs que ses 3 précédents films, mais aussi parce qu'il met en avant une femme comme héroïne pour une fois et il montre un réel intérêt à raconter cette biopic. Entre la société de l'art dominé par l'instinct masculin et ou les femmes n'ont pas leur mot à dire et la métaphore que Burton fait à travers son film, il y a vraiment une réelle profondeur dans ce qu'il a réalisé avec ce film.<br /> Pour ma part, ça mérite un 8.5/10 carrément et je pense même le revoir dans l'année en Blu-Ray ou DVD.
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S
Merci maxime je suis entièrement d'accord il participe au processus d'émancipation de la femme dans beaucoup de domaines. Une très belle oeuvre de Mr BURTON. Merci à toi d'avoir pris de ton temps pour lire ma critique.